Catch and Kill: Lies, Spies, and a Conspiracy to Protect Predators by Ronan Farrow
Tue Apr 28, 2020 · 2499 words · 13 min

Avant de commencer, une information pertinente : comme ce livre est sorti en 2019, et il n'y a pas de traduction officielle (à ma connaissance), les traductions sont approximatives ; je ne suis pas experte en traduction, alors prenez cela comme vous voulez. Je recommande personellement Word Reference ainsi que DeepL si vous cherchez des bons outils de traduction gratuits (Word Reference étant très utile quand vous cherchez un mot en particulier, et DeepL pour des blocs de texte).

Un grand merci à southerntofu pour ses conseils et corrections de mon français. Tu es superbe <3

Je ne suis pas certaine par où commencer cet article ou comment même partager mes pensées, car il en a tellement créé que c'est difficile de bien les trier. Celleux qui suivent les news en anglais concernant des agressions et le harcèlement sexuels ont sûrement lu des articles de Ronan Farrow (je ne suis malheureusement pas sûre si certains de ces articles ont été traduits en français). Il est un parmi de nombreux journalistes qui ont beaucoup contribué au mouvement Me Too. Son travail et celui des autres ont été essentiels pour montrer au public jusqu'à quel point ceux de grands moyens (en termes de pouvoir et d'argent) pouvaient les étouffer en forçant les accusatrices à signer des contrats de confidentialité. Farrow a grandement contribué dans le démontage de Harvey Weinstein. Ce qui était moins attendu, cependant, c'était comment même des organisations médiatiques comme NBC travaillaient de concert avec ces personnes puissantes, et faisaient appel à des sociétés de surveillance privées douteuses comme Black Cube (qui fonctionnait en réalité davantage comme une agence d'espionnage, remplie d'anciens espions des services secrets israéliens) étaient au service de gens comme Weinstein. Pour cette raison, ce livre se lit presque comme un livre d'espionnage à suspense à certains moments, et montre d'autant plus clairement comment, alors que nous sommes préoccupéEs par les agressions sexuelles, la technologie et le capitalisme de surveillance peuvent malheureusement s'infiltrer dans toutes sortes d'aspects de nos vies que nous ne considérons pas habituellement.

Mais essayons de commencer par le début. Beaucoup de gens, d'une manière tordue grâce à Trump, se sont familiarisés avec le terme « catch and kill » (littéralement : attraper et tuer). Pour ceux qui ont eu la chance de ne pas entendre parler de ce terme, Trump, son avocat Michael Cohen (maintenant emprisonné), et American Media Inc (AMI), ont conspiré afin d'étouffer les histoires de son infidélité et d'autres reportages peu flatteurs en utilisant « catch and kill » via AMI.

La relation entre AMI et Trump est un exemple extrême du potentiel des médias à passer d'une surveillance indépendante à copiner autour d'un verre avec des sujets de reportage. Mais, pour AMI, c'était aussi un terrain familier. Au fil des années, la société avait conclu des accords pour enfouir sous le tapis les reportages sur Arnold Schwarzenegger, Sylvester Stallone, Tiger Woods, Mark Wahlberg, et bien d'autres encore. « Nous avions des reportages et nous les avons achetés en sachant très bien qu'ils ne seraient jamais diffusés », a déclaré George.
L'un après l'autre, les employés d'AMI ont utilisé la même expression pour décrire cette pratique qui consiste à acheter un article pour l'enterrer. C'était un terme ancien dans l'industrie des tabloïds : « catch and kill ».

Ronan Farrow a commencé son reportage sur Harvey Weinstein à NBC, où il a été encouragé au départ. Mais après avoir obtenu des preuves audio que Weinstein avait admis avoir agressé une femme (et qu'il avait laissé entendre qu'il l'avait fait de nombreuses fois auparavant à d'autres femmes), en plus des témoignages de plus en plus nombreux de femmes, à la fois officiellement et officieusement, sur le traitement qu'elles avaient subi de la part de Weinstein, NBC semblait de plus en plus vouloir mettre fin à son reportage. Ils lui ont trouvé de nombreuses excuses pour des questions juridiques, lui ont dit de suspendre les interviews, alors qu'ils savaient que cela effraierait des femmes déjà traumatisées et les pousseraient à ne pas s'exprimer. Ils ont prétendu qu'ils n'essayaient pas de l'arrêter, mais en même temps, ils le décourageaient activement de continuer le travail nécessaire pour que le plus grand nombre possible de personnes soient entendues à propos des abus de Weinstein.

Si je suppose que l'implication des avocats dans les abus de Weinstein n'est guère surprenante, ni même le recours à des détectives privés afin de déterrer des ragots sur ses victimes et dénonciateurs, ce qui est vraiment choquant, c'est le niveau de malveillance de ces détectives privés. Farrow écrit beaucoup sur Black Cube, une société d'enquête privée qui est principalement peuplée d'anciens espions déployant des tactiques de niveau NSA/CIA contre leurs victimes. Il n'est pas étonnant que les anciens journalistes qui étaient sur la piste de Weinstein dans le passé aient fini par abandonner, par crainte pour leur sécurité ou celle de leur famille. Je ne peux pas imaginer jusau'à quel point illes ont dû se sentir seulEs, car dire que vous avez l'impression d'être constamment suiviEs ou cibléEs donne l'impression d'avoir la folie des grandeurs. Certes, ils comptaient sur cela pour manipuler davantage ces cibles. L'histoire la plus ahurissante est celle où Black Cube qui a utilisé un agent clandestin pour se lier d'amitié avec Rose McGowan et essentiellement faire un rapport sur chacun de ses mouvements, sur ce qu'elle disait aux journalistes et aux autres. Le niveau de dépravation est déraisonnable. Il n'est pas étonnant qu'elle ne se sentait absolument pas en sécurité, car elle n'avait aucune idée de la personne en qui elle pouvait avoir confiance ou de celle qui l'espionnait au nom de Weinstein.

Il y a quelques éléments qui sont implicites mais jamais directement énoncés/confirmés dans ce livre. L'une d'entre elles est que Noah Oppenheim, qui était initialement responsable de The Today Show, puis est devenu plus tard président de NBC News, a peut-être fait pression pour arrêter ce reportage, en raison de ses liens avec Hollywood et de son désir implicite d'y retourner pour faire potentiellement plus de films (ayant écrit le scénario pour plusieurs précédemment). Noah Oppenheim n'a déjà pas l'air très bien dans ce livre, à cause de la façon dont il a essayé de ralentir puis d'arrêter le reportage, et certaines de ses déclarations remettant en doute la parole des victimes (comme beaucoup de gens le font quel que soit le contexte).

Mais d'autres questions se posent sans qu'on y réponde vraiment, à savoir : travaillait-il de concert avec l'équipe juridique de Weinstein ? Cela semble extrêmement probable, mais nous n'obtenons jamais de véritable confirmation. Une autre théorie implicite mais jamais confirmée est la possibilité qu'AMI, qui a certainement dû conclure des accords avec Weinstein, tout comme Trump, ait également pu avoir des reportages d'harcèlement et/ou d'agression sexuelle contre Matt Lauer, l'ancien animateur de The Today Show, et qu'ils aient utilisé cela comme moyen de pression pour empêcher que des histoires sur Weinstein ne soient diffusées sur NBC. Bien que cela semble tout à fait possible, surtout si l'on considère l'équipe juridique de Weinstein et l'intégrité journalistique affichée par AMI (ce qui n'était guère connu pour ça même dans ses meilleurs moments), nous ne pouvons jamais être vraiment certains que NBC a essayé de tuer ce reportage parce qu'ils étaient confrontés à une incroyable pression extérieure, nerveux que les choses se répercutent sur ses propres contrats de confidentialité au sein de l'entreprise, ou s'il y avait d'autres raisons dont nous ne sommes toujours pas conscients. L'implication d'AMI et de Weinstein est cependant logique, car une fois que Farrow a quitté NBC, les avocats de Weinstein ont essayé (bien qu'en vain) de faire en sorte que tous ses reportages restent sous clé à NBC, afin qu'il ne puisse pas diffuser son reportage par une autre agence de presse.

En parlant de Matt Lauer, je pense honnêtement que c'était l'une des parties les plus bouleversantes du livre pour moi. Même si vous n'êtes pas une féministe queer furieuse fâchée™, son renvoi de The Today Show a été étalé dans tous les médias des US. Ce qui me perturbe, c'est que même si j'ai entendu dire qu'il avait été licencié pour des affaires avec des sous-fifres, c'était clairement bien plus que cela. Les entretiens de Brooke Nevils avec Farrow montrent à quel point les grands organismes médiatiques comme NBC peuvent réussir à étouffer leur complicité dans des abus de pouvoir flagrants. J'avais tout entendu sur les femmes qui ont fait des révélations sur Weinstein. Je n'ai presque rien entendu sur Nevils. Pour moi, l'implication est évidente - démonter quelqu'un comme Weinstein est plus facile, car c'est l'histoire d'une seule brute qui a terrifié tout le monde au sein de son organisation. L'histoire de Nevils est beaucoup plus compliquée et effrayante pour moi, parce qu'elle montre comment différents niveaux d'une organisation peuvent travailler de concert pour protéger les « talents » et les cadres. Je ne veux pas entrer dans les détails sanglants, mais il va sans dire que Nevils explique comment Lauer l'a violée pendant qu'elle était aux Jeux olympiques à Sotchi, et qu'il a continué à utiliser le déséquilibre de pouvoir pour la contraindre à d'autres actes sexuels pendant son séjour à NBC. Son histoire est profondément troublante pour moi, car elle montre que nous sommes loin d'en avoir fini avec ce combat, et ce qui me fait le plus peur, c'est que pendant cette période d'enfermement, nous mettons de côté les « problèmes de bonnes femmes ».

Le problème est infâme. Des années passées à regarder des séries (Les Experts, NCIS, et j'en passe) ont convaincu les gens qu'illes savent ce qu'est le viol : l'abus sexuel de femmes par des hommes anonymes masqués. Combien de fois avons-nous dit aux femmes qu'elles seront en sécurité si elles ne voyagent qu'en groupe, ne sortent pas la nuit, ne s'habillent pas en « salope » ? Combien de fois ai-je entendu des personnes que je croyais me respectaient un minimum dire qu'une femme « devrait s'y attendre » en portant une jupe courte, ou en buvant trop lors d'une fête ? Les femmes comme moi, même pendant le mouvement « Me Too » qui s'est propagé dans de nombreuses régions du monde, peuvent se sentir à l'aise pour parler aux gens d'une de leurs agressions, mais pas d'autres. La plupart de mes amiEs ont entendu parler de mon histoire d'agression sexuelle dans un ascenseur alors que j'étais étudiante - cette histoire est facile à digérer, car mon innocence dans cette interaction est inattaquable pour la plupart des gens dans la société. C'était au milieu de l'après-midi, un homme m'a suivie dans un bâtiment, m'a forcée à entrer dans un ascenseur et a essayé de me violer. La police m'a dit plus tard que c'était de ma faute si j'étais une jeune blonde à Barbès-Rochechouart (l'implication étant qu'une femme blanche ne doit pas entrer dans un quartier de Paris où il y a des Arabes) portant un décolleté. Des amiEs à moi se sont indignéEs à juste titre. La police n'a rien fait. Je me suis sentie complètement impuissante.

Il y a d'autres histoires que je n'ai jamais osé raconter. L'une d'entre elles est l'histoire d'une soirée où j'ai trop bu, et un homme m'a proposé de me raccompagner jusqu'à'chez moi, pour s'assurer que je rentre bien, pour finalement rentrer de force dans mon studio et me violer. Je lui avais confié plus tôt que je vivais chez une famille qui n'approuvait pas de mes sorties tardives, alors il m'avait menacé en disant que si je ne le laissait pas rentrer dans mon studio, qu'il allait se mettre à hurler juste hors de leur porte pour annoncer que je suis encore rentrée à 3h et que j'étais une grosse pute. Mon studio était attaché à la maison, et j'étais en mauvais termes avec ma famille d'accueil, alors j'étais terrifiée à l'idée qu'ils me mettent dehors, surtout comme je n'avais pas d'argent et que je vivais là dans les bonnes grâces de cette famille, je me sentais obligée d'acquiescer à ses demandes pour éviter d'être éventuellement jetée à la rue, ou d'être renvoyée chez moi en disgrâce. Le pire, c'est qu'il avait obtenu mon numéro de téléphone et, après m'avoir violé, il m'envoyait des SMS tous les deux ou trois jours pour me demander si j'avais envie de prendre un café, de sortir avec lui. J'étais terrifiée. Il savait où j'habitais. J'avais constamment peur de rentrer à la maison et de le retrouver à nouveau devant ma porte. J'ai changé mon numéro. J'ai eu de la chance - il a dû trouver une autre personne à harceler, car il ne s'est plus jamais présenté à ma porte. Je ne me suis pas vraiment sentie en sécurité jusqu'à ce que je quitte Paris et que je sache qu'il ne pourrait pas me retrouver. Que penseraient vraiment mes amis et ma famille s'ils étaient au courant de cette histoire ? Me regarderaient-ils avec pitié, me diraient-ils que c'est de ma faute parce que je n'aurais pas dû accepter si naïvement qu'un homme puisse me raccompagner chez moi sans arrière-pensée, que je n'aurais pas dû trop boire plus tôt dans la soirée ? D'une certaine manière, je suppose que j'ai de la chance. J'ai pu passer à autre chose, même si ces choses reviennent parfois me hanter, surtout lorsque j'entends les autres rejeter trop facilement les histoires des gens. Quand je pense à la terreur et à la solitude que j'ai ressenties pendant cette période de ma vie, je ressens d'autant plus d'empathie pour Brooke Nevils, parce que je ne peux pas imaginer la force qu'il faut pour continuer à travailler avec juste quelques mètres d'écart de son agresseur.

Au bout du compte, le courage des femmes ne peut pas être anéanti. Et les histoires - les grandes, les vraies - peuvent être attrapées mais jamais tuées.

Farrow termine son livre (sans compter l'épilogue) et ses entretiens avec Nevils par cette déclaration. Bien que j'aie quelques doutes, j'applaudis son optimisme, alors que ce reportage lui a certainement laissé des séquelles, ainsi qu'à toutes les femmes qui ont eu le courage de lui parler. Récemment, Weinstein a été condamné à 23 ans de prison, et il est toujours confronté à un autre procès en Californie. Certains agresseurs comme Matt Lauer ont été licenciés pour leurs abus sexuels, mais qui sait combien d'autres il en reste ? Ce n'est que récemment que dans des endroits comme la France, les gens ont commencé à remettre en question la séparation de l'artiste de son travail, qui était l'excuse ultime pour continuer à soutenir un agresseur parce qu'ils sont apparemment les seuls capables de faire de l'Art. Des manifestations ont été faites contre Roman Polanski qui continue à être fêté par une communauté artistique trop désireuse de faire disparaître les « indiscrétions passées » au nom de l'Art. Nous n'en sommes qu'au tout début. Je ne pense pas que ce combat sera gagné de ma vie. Mais tant que les gens sont prêts à s'exprimer au nom de la justice et de la vérité, j'essaie de garder espoir.


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